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théo-logie
La
grande parabole
Avertissement
Ce texte,
paru dans le numéro de mai 2013 de la revue Évangile et Liberté,
est la
réécriture d’un chapitre de mon livre "Jonas, ou l’oiseau du malheur"
(L’Harmattan,
Paris, 2003)
On peut trouver une version plus ancienne de ce
texte sur la page Lire.
En lisant les réflexions de
théologiens de la mouvance libérale,
je me pose souvent la question de leur rapport à la Bible. Je me demande quelle
sorte de réalité elle est pour eux, comment ils la considèrent et la pratiquent
pour tirer d’elle tel ou tel message. Pour ma part, je propose à ce sujet les
quelques réflexions qui suivent. Il est possible qu’on y voie l’expression d’un
biblicisme échevelé mais j’aimerais pourtant qu’elles puissent apporter une
clarification, et susciter aussi une extrême liberté dans l’exploitation des
Écritures. Tel est mon propos, et je ne demande pas mieux que d’en discuter la
pertinence.
Mon point de vue est le suivant : la Bible tout
entière n’est, ni un ensemble de mythes ou de légendes comme certains le
disent, ni la Parole de Dieu comme d’autres l’affirment, mais une grande,
complexe et signifiante parabole.
Encore faut-il que j'expose ce que j'entends par là
car le lecteur pourrait comprendre à tort que, pour moi, ce que la Bible
raconte est faux. Ce faisant, je vais sans doute insister parfois sur des
évidences : je l’assume, pour avoir eu souvent l’expérience que dès que la
religion s’en mêle, ce que l’on tient habituellement pour évident peut se
trouver occulté…
La parabole : de
l’encre sur du papier
Le langage est l’un des moyens que l’être humain
s’est donné pour communiquer des informations et du sens à l’aide d’éléments
fort divers, mais en l’occurrence, avec la parabole il s’agit des éléments de
la parole, serait-elle écrite. Je rappelle alors que, de même que le tableau de
Magritte représentant une pipe n’est pas une pipe, ou que le mot couteau, par
exemple, n’est pas un couteau, le langage n’est pas de même nature que ce dont
il parle. Nos outils et nos éléments de parole ont pour point commun, entre
autres, qu’ils ne doivent pas être confondus avec les réalités que l’on nomme
leur référent : ce à quoi ils se réfèrent et qu'ils ont pour but de signifier,
de faire connaître. Ce que je dis en affirmant que la Bible est une parabole,
c’est donc qu’elle ne doit pas être confondue avec ce qu’elle vise à
communiquer, à faire connaître, à signifier.
Ainsi, il est clair qu'elle vise – disons pour
parler vite – à signifier la relation du divin et de notre monde : Dieu et
nous. Or je n’ai bénéficié personnellement d’aucun contact direct avec le
divin, du moins à ma connaissance, ceci même en lisant la Bible ! Le divin
dont j’ai connaissance et sur lequel je m’appuie, sur lequel je fais fond, m’a
néanmoins été signifié par celle-ci ou par des gens qui l’avaient lue.
Un premier point est donc que le dieu de la Bible
n'est pas dans la Bible, mais que celle-ci le signifie. Plus : le dieu qui
figure dans la Bible est un personnage littéraire dû à l’art de ceux qui en ont
écrit. C’est pourquoi, comme l’écrivait naguère le professeur Frank Michaëli,
il est un « Dieu à l’image de l’homme ». Un personnage assez multiple
dans ses diverses apparitions littéraires, et selon les multiples aventures qui
y sont les siennes, pour qu’il puisse évoquer, signifier, le Dieu tout-autre
qu’aucun de nous n’a jamais vu.
Prenons comme exemple un récit que tout le monde
s'accorde à appeler parabole, l’histoire du fils prodigue et du fils obéissant
(Lc 15,11-32). Il y apparaît clairement que, au-delà du récit proprement dit,
ce sont certaines relations entre Dieu et les êtres humains qui sont
signifiées. Néanmoins, Dieu n'est évidemment pas le père des humains au sens où
le père de la parabole est le géniteur de ses deux fils.
Il en va de même pour l’ensemble des éléments que
l’on trouve dans les Écritures. Ce sont des écrits. C’est de l’encre sur du
papier. Voudrait-on même que cela devienne parole qu’il y faudrait un lecteur
pourvu d’une voix et d’un souffle.
La parabole vise à faire
venir ce qu’elle parle
En second lieu, la parabole est un récit, mais sa
spécificité, par rapport à d’autres types de récits, est radicale, ceci au point
que l’on en est presque venu à n’employer ce terme de parabole que dans le
cadre de la littérature liée à la Bible.
Bien sûr, il s’agit d’une évidence, la parabole
raconte une histoire. Elle a ce point commun avec d’autres genres littéraires
anciens comme le mythe, le conte ou la légende. Mais si elle est un récit, elle
n’est pas totalement compréhensible pour le lecteur ou l’auditeur. Car si, la
plupart du temps, le fil du récit est facile à comprendre, le lien qu'elle
entretient avec ce à quoi elle se réfère, avec ce qu’elle semble vouloir
signifier, n'est pas évident. Autrement dit, si l'on comprend bien ce qu'elle
raconte, on ne saisit pas toujours pourquoi elle le fait, ou, si l'on préfère,
de quoi elle parle. À ce sujet, on est souvent ramené d’une manière ou d’une
autre à ceci : "Si quelqu’un a des oreilles pour entendre, qu’il
entende !" (Mc 4,23).
D’ailleurs, dans le récit même des évangiles, on
voit que les paraboles ne visent pas à donner une impression de clarté et de
facilité. Ce qu’on y lit, c'est, suivant les cas, ou bien que les savants
comprennent aussi mal les paraboles que les ignorants, ou bien que les
ignorants comprennent aussi bien les paraboles que les savants. Je m'explique :
il y a deux situations possibles. Dans la première, on a affaire à des gens
qui, ignorants ou savants, sont en demande, et donc en recherche. Dans ce cas,
les savants peuvent avoir plus de mal dans leur démarche. Peut-être parce
qu'ils ont à lutter contre l'ensemble des implications de leur savoir, ou parce
que leur recherche elle-même est obérée par le sentiment d’être des
importants ?
Dans la seconde, on a affaire à des gens qui ne sont
pas en recherche, et dans ce cas l'incompréhension est également répartie entre
savants et ignorants.
Le premier cas peut être illustré par cette parole
dite à Nicodème : "Tu es le docteur d’Israël et tu ne sais pas ces choses
!" (Jn 3,10). Cette parole est dite après la petite parabole du verset 8 :
"Le vent souffle où il veut, et tu en entends le bruit ; mais tu ne sais d'où
il vient ni où il va. Il en est ainsi de tout homme qui est né de
l'Esprit."
Le second cas est illustré par la parabole du
semeur. Dans Marc (4,3-20), cette parabole suscite l'incompréhension générale,
de la foule comme des disciples. C'est que, dans cet évangile, les disciples ne
sont pas meilleurs "compreneurs" que les autres. Dans Matthieu
(13,4-23), au contraire, les disciples sont en situation de comprendre, mais
pas la foule, et Jésus y résume la situation en ces mots : "On donnera à
celui qui a, et il sera dans l'abondance, mais à celui qui n'a pas on ôtera
même ce qu'il a."
Sans l’ouverture d’un questionnement vital, d’une
ouverture, d’une demande, d’un désir, la parabole ne parle pas chez celui à qui
elle est adressée.
Cet exemple de la parabole du semeur vaut sur un
plan plus général. Tous les auditeurs y ont manifestement bien suivi le récit
des aventures de la semence, mais personne ne semble avoir compris à quoi il se
référait. Pourquoi donc Jésus raconte-t-il cette histoire ? Pour que seuls ceux
qui cherchent vraiment une réponse la trouvent. Autrement dit, en mettant en
recherche son auditeur, la parabole vise à faire de lui... la bonne terre où la
parole porte du fruit ! Quel fruit ? De quelle sorte ? Il n’est pas
important de le préciser. Ce qui est important, c’est la mise en route de
l’auditeur qui était en demande. C’est ce que la parabole peut faire.
On risque de voir là une illustration de ce que les
spécialistes du langage appellent un discours performatif, c’est-à-dire un
langage qui fait ce qu’il dit, comme lorsque l’on dit « La séance est
ouverte ! », mais il n’en est rien. La parabole ne fait pas ce
qu’elle dit, elle le fait faire, ou plutôt elle le fait venir et, dans une
certaine mesure, inventer, créer. Elle ouvre une histoire possible pour qui
l’entend avec de vraies oreilles.
Je tire de cet exemple l'extrapolation suivante, que
j'érige en définition : la parabole est ce récit qui vise à faire venir ce
qu'il parle, alors même qu'il ne dit pas ce dont il parle.
Ainsi, et c’est fondamental, en affirmant que la
Bible appartient à ce genre littéraire que j’appelle parabole, je pose qu’elle
ne dit pas Dieu dans son être, mais qu’elle vise à le faire venir, à sa
manière, au cœur de l'être humain et de l'humanité.
Quand on entre dans la
parabole
J’insisterai ensuite sur le fait que la parabole
peut se composer d’éléments narratifs fort divers, dont certains peuvent se
rapportent à des faits réels, voire historiques, et dont la plupart sont liés
au contexte (culturel, social, économique, politique) dans lequel elle est née.
Tout n’est donc pas inventé, imaginé, bien loin de là ! Et tout n’est pas
purement et simplement narratif.
Mais s'il n'y a pas que du récit dans la parabole,
si l'on peut également y trouver des éléments appartenant à d'autres genres
littéraires, ces éléments sont inclus dans le cadre général de la narration.
C'est en fonction de celle-ci qu'ils prennent leur sens, les uns comme les
autres étant subordonnés au mode général de la parabole. C'est elle qui est importante.
C'est elle qui qualifie chacun des éléments qui la constituent en traits
cohérents et significatifs de son économie générale.
Ainsi en est-il par exemple de la parabole des
Vignerons homicides (Mt 21,33-44 et récits parallèles), qui comprend la citation
de deux textes du Premier Testament, un oracle prophétique ("Il sera une
pierre d’achoppement, un rocher de scandale", Es 8,14) et l'extrait d'un
psaume ("La pierre qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient est devenue la
principale de l’angle", Ps 118,22). Bien que non narratifs, ces deux
éléments littéraires sont pourtant devenus des parties constitutives de la
parabole racontée.
On peut trouver cela en beaucoup plus ample dans la
parabole du pauvre Lazare (Lc 16,19-31) : non seulement on y trouve Abraham,
mais surtout on y est renvoyé à presque toute la Bible hébraïque : "Ils
ont Moïse et les Prophètes, qu'ils les écoutent". On voit qu'ici, ce qui
est inclus dans la parabole rassemble, serait-ce sur le mode de l'évocation,
des textes législatifs et prophétiques tout autant que narratifs. Et non
seulement elle les évoque, mais elle
renvoie le public à leur contenu en sorte que leur oubli ne permettrait pas de
comprendre et recevoir la parabole : ils font partie d’elle.
Je note alors que l’on peut justement raconter toute
la Bible, de la Genèse à l'Apocalypse. C’est d’ailleurs une de ses
spécificités, qui la distingue par exemple du Coran. Mais au cours de la
narration, il sera nécessaire de faire intervenir dans le récit des éléments
non narratifs : poétiques, légaux, sapientiels, historiques, etc.
Il est plus difficile de trouver un exemple de faits
historiques dans les paraboles évangéliques. Toutefois, on remarquera qu'elles
contiennent nombre d'éléments de nature historique, tout inventées qu'elles
aient été. Ainsi, les évangiles n'inventent pas, par exemple, le fait que les
ouvriers agricoles palestiniens de l'époque romaine attendaient le matin en un
lieu dit que les sbires des propriétaires terriens viennent les engager pour la
journée (Mt 20,1-16). Ce fait était dû à l’une des conséquences de la
colonisation, créatrice d’un système d’exploitation agricole de type
latifundiaire dans lequel les petits paysans étaient dépossédés de leur terre
et devenaient des prolétaires.
Mais ce que ce point suppose va beaucoup plus loin.
Il permet de rendre compte du fait que des récits inventés comme ceux de Job,
d'Esther ou de Jonas aient été mis sur le même plan, dans la Bible, que les
récits plus ou moins historiques qu'on peut trouver par exemple dans les
Chroniques. Inversement, il permet aussi de comprendre que certains événements
historiques aient pu revêtir une valeur parabolique.
Et c’est sur ce mode que l’expérience humaine,
existentielle, des divers protagonistes va prendre sens. Je m’explique : la
Bible comprend aussi des récits qui rapportent les dits et les gestes d'hommes
et de femmes qui ont voulu, ou bien voulu, pour le dire ainsi de façon
parabolique, figurer dans la parabole. Cela va de soi à partir du moment où
l'on accepte l'idée que l'ensemble de leur existence était, selon eux, déjà
signifiée dans l'aire de la grande parabole biblique, et pourvue de sens en
fonction du seul point de vue de celle-ci. Entre autres, tels sont les
prophètes.
Ainsi certains prennent-ils place tout naturellement
dans la narration qui est en train de s'élaborer au cours des siècles. C'est ce
qu'on appelle faire l'histoire ! D'autres le voudraient qui n'y parviennent
pas, et qu'on appelle par exemple faux prophètes. Ceux-là n'ont pas saisi le
mode d'agir de la parabole, mode qui ne fait qu'un avec son sens.
Dans la mesure où la parabole fait venir ce qu'elle
dit, ou plutôt ce qu’elle parle, ce qu’elle instaure par son langage, on peut,
je pense, parfaitement comprendre cette inclusion de la chair et des os, d'histoires
personnelles ou collectives, dans l'élaboration du récit. C'est ce que, dans un
langage différent qui verse trop facilement dans le dualisme de l’âme et du
corps, on a appelé incarnation. C’est en tout cas ce qui la distingue
absolument du mythe, de la légende ou du conte, dont personne n’a jamais
désiré, sauf à l’occasion par jeu, devenir membre actif !
C'est ainsi que même un peuple a pu se constituer en
tant que protagoniste du récit biblique, non seulement en parole mais à grand
renfort de sperme et d'ovulations, de sueur et de sang.
C'est également ainsi que, de l’homme Jésus,
"l'esprit" du récit ait pu dire : "Celui-ci est mon fils",
reprenant ainsi la thématique ancienne du lien paternel que Dieu était censé
établir avec le roi d’Israël (Ps 2,7 repris par Mt 3,17 et textes parallèles).
Ce que j’appelle ici l’esprit – l’Esprit – est une
façon de percevoir l’ensemble des implications de cette histoire en tant
qu’elle signifie la possibilité d’une relation positive des humains avec Dieu.
Une histoire à faire pourra s’ensuivre alors.
C'est donc ainsi que des millions d'humains ont pu
se dire fils de l'un des personnages-clés de la parabole, Abraham, ou soumis,
avec Moïse, à la Loi du Seigneur de la parabole, ou bien d'autres, encore, se
sentir enfants du Père de la parabole, disciples et amis du Fils de la
parabole, animés et consolés par l'Esprit de la parabole.
Cette parabole qui signifie précisément le lien qui
unit le divin au monde de nos perceptions. Le signifie, et le qualifie
finalement comme un lien d'amour unilatéral et premier.
Qui sort de la parabole
change de dieu
La parabole biblique se limite donc à un certain
type de langage humain dans le but de signifier ce qui n’est pas de l’ordre du
langage humain. En le faisant, elle pose tout simplement que sortir de ce type
de langage, de ce mode, tout en gardant la même intention serait impossible.
C’est une loi connue de tout artisan du langage : quand il s’agit de
création littéraire, on ne dit pas la même chose quand on la dit autrement. Il
est donc posé que cette réalité qui n’est pas de l’ordre du langage humain est
indicible… sauf à recourir au langage parabolique. En termes plus
simples : le Dieu dont parle la Bible, le Dieu que la Bible parle, est le
Dieu… biblique.
Elle en dit long, ainsi, à qui est en recherche.
Elle lui dit : « Quant à Dieu lui-même, en son être, sache que la
seule chose qui lui importe, c’est que tu entres dans la parabole comme l’un de
ses protagonistes, car lorsqu’on parle de Dieu, dans ces Écritures, c’est de
ton histoire à toi qu’il est question. » Tant il est vrai que ce qui est
important avant tout dans le Livre, « ce n’est pas ce qu’il dit, mais ce
qu’il fait et fait faire », comme l’écrivait le philosophe Jean-François
Lyotard à propos des livres en général.
Mais si la Bible se limite à son mode parabolique
pour signifier le divin, cela implique que l’on devra se contenter absolument
de cette limitation, autorisé et poussé que l’on est alors à créer librement du
neuf à partir de la vieille parabole. Il y a là un arbitraire en dehors duquel
on n'est plus dans l'aire biblique, dans la foi biblique. La chose est
semblable à un jeu de société : si l'on change l'arbitraire de la règle, on
change le jeu, à moins qu'on ne le détruise.
Cette limitation, qui permet la signification du
message, est la source première de cette autre limite qu'est le canon biblique,
c’est-à-dire la liste et le contenu des livres qui composent la Bible. De même,
elle représente l'origine et la légitimation de la fixation arbitraire des
textes par certaines communautés humaines – Synagogue et Églises. Cette
fixation est dite arbitraire, non au sens où elle se serait opérée par oukase
et caprice, mais au sens où elle constitue une règle du jeu.
D'où la nécessité d'un littéralisme qui n'est pas un
fondamentalisme, tout au contraire, mais qui consiste en une règle de lecture
que les croyants s'accordent à respecter ensemble afin d’en tirer librement ce
qu’il leur importe d’en tirer pour mieux vivre.
Un corollaire de cela est que ce ne sont pas les
résultats scientifiques de la recherche biblique qui concernent en premier lieu
les croyants, même s’ils peuvent et doivent l’éclairer dans la libre
exploitation qu’ils feront ultérieurement de leur lecture. Il s’agit en effet
de voir en celle-ci un rapport direct, collectif de préférence, avec les
Écritures. Car, telles cette Jérusalem "dont toutes les parties vont
ensemble" (Ps 122,3), elles sont en elles-mêmes une œuvre littéraire
concertée.
Les Écritures ne sont, ni la somme des bribes d’information
antérieures à leur fixation récoltées par les spécialistes, ni le
fonctionnement des structures sous-jacentes que d’autres ont mis au jour, ni
l’une ou l’autre des reconstructions que les uns ou les autres auront
élaborées, ni la suite de leurs versets envisagés comme des règles à s’imposer
à soi-même et encore moins aux autres.
Être dans la foi biblique, la foi d'Abraham, de
Moïse, de David et de Jérémie, la foi de Jésus, c'est se situer dans la
parabole biblique et jouer son jeu.
Le Souffle de la parabole
Ces réflexions comportent une conséquence quant au
langage que l'on peut tenir pour désigner la Bible. Si elle est une parabole,
elle n'est pas la Parole de Dieu, elle signifie celle-ci. Elle le fait par les
moyens pratiques de l'écriture. C'est pourquoi il vaut mieux, pour les
croyants, dire "Écritures saintes" plutôt que "Parole de
Dieu".
Lorsque, d'écritures, les éléments bibliques
deviennent paroles, c'est-à-dire lorsqu'ils sont portés par la voix, le
souffle, la présence, l’action ou encore les institutions d'êtres humains
vivants, il se peut alors qu'on assiste à l'éclosion d'une Parole de Dieu. Mais
il ne faut pas confondre les choses : une parole est une parole, une écriture
est une écriture. La confusion dans le langage entraîne celle des esprits, des
actions et des institutions.
Il n'est pas de notre ressort de savoir par quels
moyens il se trouve que les Écritures saintes sont en mesure de signifier ce
qui vient de Dieu. C'est juste affaire de foi, c’est-à-dire de confiance absolue
en cet arbitraire. En chacun de nous, l’origine de cette confiance, si elle a affaire avec l’Esprit de la
parabole dont je parlais, reste pourtant un mystère caché en Dieu. Mais pour ce
qui nous concerne hic et nunc, il est
de notre responsabilité de croyants de faire éclore la Parole de Dieu à partir
des Écritures. "Mettre la Parole de Dieu en pratique" ne signifie pas
obéir aux diverses injonctions que l’on pourra trouver dans la Bible, mais
pratiquer celle-ci, c’est-à-dire faire d’elle, en pratique, une Parole vivante,
créer de la vie qui puisse coïncider avec la Grande parabole de l’amour de
Dieu. Certes, cela se fait, dit-on traditionnellement, grâce à l'action du
Saint-Esprit. Mais cet Esprit, pour nous, c'est celui des Écritures... C’est ce
que la pratique des Écritures crée en nous, et non une sorte d’ectoplasme,
qu’il soit de nature mentale ou émotionnelle, surgissant des limbes pour nous
dicter notre lecture. C’est le souffle – comme on dit "avoir du
souffle" – qui vous pousse à adhérer à cette histoire et à y entrer.
Esprit et souffle sont d’ailleurs un même mot dans chacune des deux langues
bibliques.
C'est pourquoi le premier programme du croyant est
de lire les Écritures. C'est son premier service. C'est ainsi qu'il
s'imprègnera de leur Esprit. Qu'il deviendra instrument de cet Esprit pour
parler, agir, se comporter selon l'Esprit. Pour faire parler, agir, venir, la
Parole.
On voit que pour moi la Parole de Dieu n’est pas
antérieure aux Écritures, mais postérieure… et aléatoire.
Si on la dépouille des diverses institutions dont
elle s’est dotée au cours de son histoire, ce qui reste de la communauté des
croyants c’est qu’elle se fonde en pratique sur une communauté de lecture, sur
un pacte de lecteurs. La mise en œuvre de ce pacte a connu bien des avatars,
subi bien des avanies. Il n'est pas certain qu'elle soit seulement perçue comme
telle. Néanmoins elle est là, au début de notre pratique. Et elle est toujours
à réformer.
Dans la ligne, précisément, de la Réforme, elle est
à démocratiser. J'utilise ce terme dans l'aire d'une pratique très précise :
celle de l'exercice commun, communautaire, populaire, échangiste et critique de
ce travail-combat-plaisir qui consiste à faire naître une Parole des Écritures.
Parole de vie.
Il est possible qu’une telle entreprise puisse
rendre au peuple protestant le goût pour la lecture de la Bible qu’il a
manifestement perdu.
Il s’agit donc de voir en la Bible une parabole. Un
récit qui vise à faire venir ce qu’il parle chez son auditeur. Il me semble que
voir les choses ainsi, c’est permettre aussi de dépasser de vieilles
oppositions de doctrine portant sur le mode de réception des Écritures. Ces
débats me paraissent liés à des conceptions dont le point de départ est toujours
un dualisme de la forme et du fond, affirmation qui supposerait un autre
exposé. Or la parabole ne sépare pas la forme du fond, son mode fait partie de
son sens et inversement.
Mais là n’est pas le point fondamental, qui touche
plus profond :
Je crois en Dieu, non en la Bible, néanmoins je ne
connais Dieu que par la Bible.
C’est du moins ce que j’affirme, même lorsque la
réalité d’autres moyens de connaissance du divin m’est opposée ou proposée. Je
suis dans cet arbitraire, parce que c’est pour moi la condition très pratique
pour faire l’amour de Dieu. Du Dieu que j’aime.
Pour les Réformateurs du XVIème siècle, l'enjeu
était de permettre à tous d'avoir accès directement au Salut de Dieu offert en
Jésus-Christ. La Réforme était la conséquence d'une intériorisation radicale de
Pâques. Aujourd'hui, l'enjeu pourrait être de permettre à tous de faire vivre
l’Esprit, et de devenir ainsi metteurs en œuvre de ce salut opéré une fois pour
toutes. Il s'agirait d'une intériorisation radicale et collective de Pentecôte.
Peut-être qu’alors, les protestants, libérés de
l’ancienne nécessité de prendre les Écritures comme un mode d’emploi au lieu
d’un filon à faire produire, recommenceront-ils à lire la Bible ?
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